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À L'ÉPOQUE DES MAMMOUTHS

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J’avais envie de chanter la joie. De me prendre par la main et de m’amener vers des paysages musicaux que je n’avais pas fréquentés depuis longtemps. Alors un matin, je me suis installé devant mon boucleur sonore pour faire un circle song*. J’ai beaucoup fait ce type de chant improvisé par le passé, et quand on est seul, le boucleur est l’appareil parfait pour cela : sa fonction est justement d’enregistrer des phrases et de les répéter en boucle !

J’ai commencé par fredonner quelques motifs spontanés en utilisant uniquement des phonèmes. À ce moment du processus créatif, il faut laisser l’orgueil et le jugement de côté. Accepter de produire plein d’idées sans suite en souhaitant que l’une d’elles devienne éventuellement le point de départ d’une construction sonore plus substantielle.

Ce matin-là, j’ai eu de la chance. Les motifs me venaient à l’esprit relativement facilement. Je choisissais les onomatopées pour leur couleur sonore. Au bout de quelques heures, j’avais un circle song de cinq temps par mesure, presque complet (avec évidemment beaucoup de corrections à apporter). Je crois que cet élan spontané se reflète dans la version enregistrée en studio.

L’histoire serait charmante si elle s’arrêtait là. Je cherchais comment intégrer du texte à cette pièce et n’y parvenais pas. Les mots que je trouvais étaient tous moins intéressants sur le plan sonore que les phonèmes improvisés à l’origine. J’ai délaissé cette ébauche pendant de longs mois. Elle est allée rejoindre les enregistrements de dizaines et de dizaines de trucs du genre qui s’essoufflent au bout de quarante secondes et que j’abandonne, faute d’idées ou d’intérêt. Puis, un jour, en lisant Ce que les oiseaux disent de nous, de Noah Strycker**, je suis tombé sur cette fabuleuse théorie qui explique que notre fascination pour la musique tirerait ses origines du « mamanais », ces intonations pleines de tendresse qu’utilisent les mères quand elles parlent à leur bébé. L’auteur évoque aussi une autre théorie qui soutient que la musique est antérieure au langage. L’imitation de sons de la nature employés pour communiquer aurait mené graduellement à la création des mots et d’une grammaire. Moi qui poursuivais un projet ayant pour sujets la voix humaine et la langue, imaginez mon émerveillement devant ces énoncés ! Alors, j’ai simplement inventé un bref récit tournant autour de ces idées. En réécoutant le circle song que j’avais fait quelques mois plus tôt, j’ai compris que je pouvais raconter l’histoire en parlant « par-dessus » les phonèmes chantés. Ceux-ci devenaient ainsi l’évocation sonore et joyeuse des balbutiements du langage à l’époque des mammouths.

*Forme ancienne de chant a cappella sans paroles issue de la culture africaine, qui fait penser à une spirale vocale. Habituellement interprété en groupe. On pourrait traduire ce terme anglais par chants circulaires ou cercles de chant.

**Strycker, Noah. Ce que les oiseaux disent de nous, une enquête ornithologique, Flammarion Québec, 2018. 288 pages.

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UNE VOIX PLURIELLE

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