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LE MONDE A BESOIN D’UN NOUVEAU ELVIS


On a beau être de nature optimiste, difficile de ne pas céder au cynisme par les temps qui courent. La politique est faite par des gens qui ne connaissent rien aux gens, les affaires par des gens qui ne connaissent que des gens en politique. Le baril de pétrole vaut à peine plus cher qu’un baril de poulet frit Kentucky (et il est aussi mauvais pour la santé) mais il semble que ce soit le symbole de notre richesse. L’économie est un monde énigmatique contenu dans une boule de cristal manipulée par des gens qui risquent de l’échapper à tout moment. On devine d’avance que ce ne sont pas eux qui ramasseront le verre brisé et paieront pour les dégâts.

Je sortirais de l’adolescence aujourd’hui que j’y penserais deux fois avant de tourner le dos à ma jeunesse idéaliste et de m’élancer dans ce monde bouleversé d’adultes qui cherchent des repères sans les trouver. Il me semble qu’avant, c’était plus simple d’être jeune. Oh, le monde des vieux n’a jamais cédé sa place sans rechigner aux morveux impatients qui tapent du pied derrière et rêvent de le soulever pour botter des culs. Mais au moins, pendant quelques générations, ceux-là ont eu la chance d’avoir leur porte-voix qui chantait et écrivait tout haut ce qu’ils n’arrivaient pas toujours à exprimer; ce qui leur barbouillait l’âme quand ils jetaient un œil à la vie sans sortie de secours qui leur était promise.

Tous les adolescents ont besoin de musique pour se construire, ils y voient des enjeux suprêmes, ils en parlent avec ardeur et gravité, comme plus tard ils parleront de politique. (Tonino Benacquista – Nos gloires secrètes).

Il a le mot juste, Benaquista. Au début des années 90, Kurt Cobain avec son regard cynique sur la vie porté par des sons de guitare saturée exprimait les frustrations de sa génération et son mépris des modes.

Au début des années 60, Les poètes et les chanteurs folk prenaient d’assaut les pelouses de Washington Square dans Greenwich Village pour réclamer (naïvement, il faut le dire) plus d’espace de parole pour les jeunes et chantonner leur mépris pour la guerre. C’était l’époque où la jeunesse se défendait plus souvent avec des guitares et des free speeches qu’avec des armes. La rumeur de leurs voix a gagné toute la ville de New York, puis les États-Unis, l’Amérique et le monde. Bob Dylan, avec sa voix tranchante comme un couteau ébréché, chantait d’un ton hargneux à ceux qui avaient le monopole de la rectitude de pensée que le temps du changement était venu.

Et les Beatles, est-il nécessaire de rappeler quel vent de changement musical et social, ils ont fait souffler sur l’Occident ?

La littérature a aussi connu ses chefs de file qui ont secoué les piliers du temple. Dans ses délires tourmentés en prose qui cavalcade à brides abattues sur les pages blanches de l’Amérique, Jack Kerouac inventait sans s’en rendre compte la beat generation et des centaines de millions de jeunes à travers le monde allaient trouver en lui le modèle qu’ils attendaient pour bouleverser l’ordre établi.

Et même Elvis (celui habillé en cuir, pas celui de Vegas qui n’était que l’ombre de lui-même mais en plus gros), même Elvis donc, a été le porte-étendard d’une jeunesse rebelle qui réclamait plus d’indépendance, au grand désespoir des parents. Par sa gestuelle, ses grognements, ses déhanchements suggestifs, il était le symbole absolu d’une libération sexuelle nécessaire à une époque hautement conservatrice. Il a fait du rock and roll un art populaire, une façon de décoder le monde.

À une époque où des jeunes désabusés et en crise d’identité quittent leur banlieue pour devenir djihadiste ou commettre des attentats suicides dans des écoles aux États-Unis, des marchés au Yémen ou des salles de spectacles en France, je rêve comme tout le monde à des façons non-destructrices de canaliser ce besoin d’extérioriser leur révolte. J’en arrive à penser que le monde a besoin d’un nouveau Elvis. Ou en tout cas, d’un nouveau porteur d’idéaux, juste assez déjanté pour bousculer les bonnes mœurs, les bonnes gens et pour affirmer bien fort son mépris des marchés boursiers, des évasions fiscales, des marchands d’armes et des guerres saintes. Quelqu’un qui dirait nous au lieu de je. Qui chanterait l’arbre au lieu du pipeline. Qui rappellerait à ceux qui prônent le consumérisme à outrance qu’ils sont le symbole même de l’obsolescence programmée.

Et moi qui arrive juste à ce moment-là avec mes nouvelles chansons sous le bras… Je me suis regardé dans le miroir ce matin et j’ai constaté ce que je savais déjà. Je ne serai pas le nouveau Elvis. Je n’ai pas le physique de l’emploi. Mais ce monde de jeunes et d’anciens jeunes a aussi besoin de tendresse, de compassion, d’histoires d’amour qui finissent bien parfois, qui finissent mal parfois, mais où il y a tout de même de l’amour. Alors je joindrai ma voix aux hommes et aux femmes qui tentent de chanter tout haut ce qui se vit tout bas dans le cœur des gens. C’est naïf ? Non. Idéaliste. C’est le rôle des artistes de l’être. Depuis quand c’est mal vu d’être idéaliste, au fait ?

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